22 mai 2020
Léonid : interview pour l'album Du vent
(Photo : Sigrid Spinnox)
Léonid n’est pas l’affaire d’un seul homme, c’est un binôme indissociable. Il est composé de « la tête pensante », Fabien Daïan, et de son cousin Rémi d’Aversa, homme-orchestre lumineux / co-arrangeur et co- réalisateur sur leur deuxième album Du vent.
Rappelons que Fabien (déjà mandorisé-là en 2014 pour le premier opus éponyme) est auteur/compositeur/interprète, guitares, percussions. Membre de Sinsemilia pendant les 13 premières années du groupe, il s’est investi ensuite corps et âme aux côtés d’artistes comme Yoanna ou Djazia Satour en tant que réalisateur, arrangeur, scénographe…
Créé en 2013, le duo connaît depuis un développement constant et régulier. Et comme l’explique le dossier de presse, « quelques 250 concerts plus tard et des retours souvent dithyrambiques d’un public touché tant par le fond que par la forme du spectacle, les deux cousins n’ont pas perdu une once de leur foi, de leur besoin de créer, de se renouveler, ni de leur capacité de travail ».
Du vent, a été co-réalisé et co-arrangé avec Pierre-Luc Jamain (Sergent Garcia, Feist, Arthur H, Oxmo Puccino, Djazia Satour...) et enregistré et mixé au printemps 2019 par Julien Espinoza au studio BESCO (78) et aux Studios de la Ruche (69).
Si le Coronavirus décide de se barrer un moment, gageons que le spectacle dont sera issu cet excellent disque sera une nouvelle ère (de jeu) foisonnante pour le duo.
Quoi qu’il en soit, aujourd’hui vendredi 22 mai 2020, sont proposés 4 titres de Du vent en téléchargement. Quant à l’album, il sortira en intégralité le 21 août.
J’ai interrogé Fabien Daïan par téléphone, il y a trois semaines pour évoquer cette nouvelle aventure discographique. Avec l’espoir tout puissant que ce soit la dernière interview sous confinement…
Les 13 chansons décryptées sur YouTube.
L’album (argumentaire de presse officiel) :
Un nouvel album plein de vent. De vent frais, du vent des fous ou d’un vent de colère. Parce que le vent c’est tout mais surtout parce que le vent c’est rien.
13 chansons cousues main et filées avec les tripes.
Sur « du vent », on sent un auteur/interprète enfin délesté du poids des « maîtres » (Higelin, Brassens, Renaud et tant d’autres). Ce bagage trop lourd qui complexe et réfrène celui qui le traîne. Non que le bonhomme soit devenu prétentieux et ait désormais la naïveté de croire qu’il leur arrive à la cheville. Bien au contraire ! C’est en faisant le deuil du fantasme de chatouiller un jour les doigts de pied des grands qu’il a pu livrer sans détour inutile ce qu’il a dans les tripes.
Ses tripes à lui, qui ont pour principal intérêt d’être les siennes.
Aux premières loges de ce déballage, le cousin, le binôme, s’investit comme jamais sur ce disque. Il le marque de sa sensibilité et de son sens inné de la mélodie et de l’arrangement.
Les chansons de l’album : Elles pourraient se diviser en quatre catégories. D’abord les chansons « psycho-torturées-mais-légères-quand-même », crédo de Léonid, à l’image de « La tâche d’encre » : hurlement venu de l’enfance sur l’impossibilité d’être libre sous l’emprise de l’angoisse. Les textes « réalistes » comme « P’tite soeur » : ode à l’amitié fraternelle et inconditionnelle en duo avec la lumineuse Djazia Satour. Les « existentielles » dont « Autrement dit » est l’incarnation. Chanson sur le troublant parallèle entre le début et la fin de la vie qui, déjà présentée sur scène à quelques reprises, arrache bien souvent les larmes des plus sensibles. Et enfin les chansons « politiques » à l’instar de « Mon avis » : constat désabusé de la difficulté d’allier la passion, les convictions avec l’engagement politique. Ou comme les reprises d’« Oscar » (Renaud) et du « Chiffon rouge » (Vidalin/Fugain) : double hommage au monde ouvrier « rouge » dont sont issus les grands-parents communs aux deux cousins. Leur héritage partagé. Le point commun à toutes ces chansons, le fil rouge, est l’aspiration à la liberté.
Liberté dont le plus digne représentant est le vent !
(Photos : Sigrid Spinnox)
Il s’est passé six ans entre tes deux albums. C’est beaucoup, non ?
La première raison, c’est que j’ai énormément d’activités différentes avec d'autres artistes, comme régisseur et éclairagiste. J’aime avoir une vision globale du métier et toucher à tout. La deuxième raison, c’est qu’avec Rémi, on travaille principalement la scène en la peaufinant sans cesse. Enfin, la troisième raison, c’est qu’il se pourrait bien que je sois un laborieux. Il me faut du temps pour faire les choses. Créer de nouvelles chansons par exemple.
Pour la première fois, Léonid a demandé à une tierce personne un regard extérieur, celui de Pierre-Luc Jamain qui a co-réalisé et co-arrangé l’album. Pourquoi ?
J’ai toujours fait les choses tout seul et là, je sentais que j’avais besoin d’un œil neuf d’une personne dont je respecte le travail. Ça m’a permis de me focaliser plus sur ce que j’avais à dire et sur la façon dont je souhaitais transmettre ces nouveaux textes. Je me mets toujours beaucoup de pressions et le fait de pouvoir se reposer sur quelqu’un, ça m’a fait un bien fou. Je n’ai jamais su déléguer. Pour y parvenir, il faut trouver quelqu’un qui va mettre autant de temps, de passion et de perfectionnisme dans le projet que soi-même. C’est ce qu’a fait Pierre-Luc, accompagné bien sûr par Rémy en qui j’ai toujours eu une confiance illimitée. C’était l’équipe parfaite.
Djazia Satour et Léonid en studio (photo : Pl Jamain).
Evoquons quelques chansons. « Petite sœur » est une ode à l’amitié entre un homme et une femme, en l’occurrence, celle que tu as avec Djazia Satour, qui chante avec toi sur ce morceau.
Djazia, c’est ma coloc’ de sang. J’ai voulu marqué cette amitié exceptionnelle, extrêmement chaleureuse, fraternelle, presque familiale. Notre amour est puissant, comme peut l’être celui d’un frère et d’une sœur.
Tu n’es pas précisément un chanteur d’histoire d’amour… Quand tu en parles, ça donne une chanson comme « Dégage ».
C’est l’histoire d’une rupture. Quand des gens se séparent, souvent, ils se disent que l’histoire sera toujours belle, malgré la souffrance. Dans cette chanson, j’avoue, j’ai un peu lâché ma pudeur. Désormais, j’essaie de « cracher » les choses de manière plus spontanée et directe. M’autoriser cela m’a permis d’aller mieux.
(Photo : Sigrid Spinnox)
Tu es quelqu’un de pudique ?
Très. J’ai même une pudeur extrême. De plus, je suis sujet depuis tout le temps à des crises d’angoisse terribles et à des attaques de panique. J’ai appris récemment que nous étions 4% de la population à souffrir de cette pathologie. J’ai des périodes où le moindre évènement peut me terroriser et me mettre dans des états insoutenables. C’est ma croix… et c’est complètement contradictoire avec le fait de de monter sur scène et, plus généralement, de faire un métier public.
C’est peut-être une façon d’exorciser ça ?
Tu as raison. C’est exactement ce que je pense. Je ne veux pas lâcher l’affaire. Ma seule survie possible, c’est d’aller au front. Je dois passer ma vie à me prouver que je suis plus fort que ces fantômes-là.
Ce que tu me dis-là me fait penser à la chanson « La tâche d’encre », dans laquelle tu te racontes comme jamais… sans t’épargner. En écoutant les paroles, je l’ai comprise ainsi : l’histoire d’un type qui cherche la liberté absolu, qui n’y parvient pas toujours, mais un peu quand même. J’ai bon ?
Ça me va très bien parce que c’est tout à fait ça.
(Photo : Sigrid Spinnox)
(Photo : Vincent Assié)
Pour toi, c’est quoi la notion de liberté ?
Je trouve qu’il n’y a rien de plus angoissant, stable et acquis que la liberté. La liberté, c’est un grand vide en fait. J’accepte le combat en moi où il y a une inspiration à la liberté infinie et l’obligation de me mettre en danger en me dirigeant vers mes peurs.
La famille est importante pour toi. Tu évoques en filigrane ta sœur décédée dans « 507 heures » et tes grands-parents dans « Oscar », de Renaud, et dans « Chiffons Rouges » de Vidalin et Fugain.
J’ai des familles très différentes côté maternel et paternel, mais le point commun qu’avait tout le monde, c’est une implication en politique, très à gauche, communiste, humaniste, voire anarchiste pour certains. Depuis mes grands-parents, c’est quelque chose qui est complètement ancrée dans toute la descendance. Nous avons été élevés dans la lutte et le combat pour plus de justice et d’égalité. La cadre idéologique que l’on m’a inculqué est mon plus bel héritage familial.
Toi, tu fais partie de la tendance anar ?
Je vais te dire la vérité. Je suis mélenchoniste, donc à fond dans le mouvement de La France insoumise. Il y a énormément de gens qui tapent sur Mélenchon parce qu’il serait égocentré et colérique… c’est autant de choses qui me le rendent très sympathique. C’est quelqu’un de brillant et droit politiquement. Il défend à merveille des valeurs que nous sommes des millions à partager.
Tu milites sur le terrain?
Je suis très peu militant, mais comme énormément de gens, je me suis fait embarquer en 2016 par le mouvement. J’ai fait pas mal de meetings et il m’est arrivé de distribuer des tracts pour Mélenchon. Mais j’ai beaucoup trop de respect pour les militants qui s’investissent concrètement pour me considérer comme tel. Moi, je me contente d’ouvrir ma gueule sur scène avec mes petites chansons.
"Le prince du RSA"-Spécial confinage.
Mais tu fais de la chanson politique ? (Photo :Vincent Assié)
Non.
« Le prince du RSA », chanson anti macroniste par excellence, ce n’est pas une chanson politique ?
Alors, partons du principe que tout est politique. Pour moi, une chanson, c’est juste une idée qui passe et que tu veux transmettre, mais qui ne doit pas prouver ou argumenter quoi que ce soit. Chacun fait ce qu’il veut de l’idée que tu proposes. L’art n’est pas fait pour convaincre.
C’est le thème de ta chanson « Mon avis » !
C’est exactement ce que je raconte, effectivement. Pendant très longtemps, je suis monté sur mes grands chevaux en clamant de grandes tirades passionnées, mais aujourd’hui, je le fais de moins en moins. Je ferme ma gueule en fait parce que je sais que je n’ai pas le bagage intellectuel et culturel pour me permettre de chanter des choses sentencieuses et encore moins pour faire la morale.
Dans « Autrement dit », tu désacralises les enfants. Tu n’as pas honte ?
Je précise que je n’ai pas d’enfant, je ne fais donc la leçon à personne. Je ne sais pas si c’est l’héritage de Françoise Dolto, mais je constate juste que l’on met les enfants de plus en plus à une place centrale. J’ai peur qu’on finisse par en faire des adultes décalés avec la vraie vie. Les valeurs que l’on m’a inculqué, c’était de rester à ma place d’enfant. C’est quelque chose d’important dans la fondation d’une vie.
19:16 Publié dans Les coulisses du show biz, Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : léonid, fabien daïan, rémi d'aversa, du vent, interview, mandor